Une nouvelle image du trou noir supermassif Sagittarius A* au centre de la voie lactée, générée par intelligence artificielle (IA), suscite fascination et scepticisme. Le prix Nobel Reinhard Genzel appelle à la prudence face à cette avancée technologique.
Un portrait inédit du cœur galactique
Des chercheurs ont utilisé un modèle d’intelligence artificielle pour traiter les jeux de données complexes issus de l’Event Horizon Telescope (EHT). Objectif : produire une image plus nette de Sagittarius A*, le trou noir supermassif caché à 26 000 années-lumière de la Terre, au centre de notre galaxie.
Contrairement à l’image initiale dévoilée en mai 2022, marquée par un certain flou dû aux perturbations atmosphériques et au bruit des signaux, cette nouvelle représentation générée par IA révèle des détails supplémentaires. Elle suggère notamment que Sagittarius A* tourne à une vitesse proche du maximum théorique et que son axe de rotation serait orienté vers la Terre.
Une IA face aux limites de la science d’observation
Le modèle d’intelligence artificielle n’a pas simplement amplifié des signaux existants. Il a exploité des données auparavant jugées trop bruitées, dans une tentative audacieuse de reconstruire ce que les télescopes terrestres ne peuvent clairement capter. Ce traitement algorithmique va au-delà de la visualisation : selon les auteurs de l’étude, il pourrait introduire de nouvelles hypothèses sur la dynamique de la matière proche du trou noir.
Sagittarius A* présente une masse estimée à 4,3 millions de fois celle du Soleil. À proximité de son horizon des événements, les lois physiques connues atteignent leurs limites, rendant chaque nouvelle donnée précieuse et controversée. L’IA permet d’inférer une structure plus cohérente de l’anneau lumineux vu autour du trou noir. Mais jusqu’à quel point ces détails sont-ils réels ?
Réserves d’un Nobel face à l’enthousiasme
Malgré l’innovation, l’image soulève des inquiétudes parmi les scientifiques de renom. Reinhard Genzel, Prix Nobel de physique 2020 pour ses travaux sur le centre galactique, met en garde contre une confiance aveugle dans ces technologies d’avant-garde. Selon lui, la qualité problématique des données brutes peut biaiser le modèle IA. Il affirme que même les algorithmes les plus complexes ne sauraient compenser des imprécisions fondamentales dans la mesure.
Genzel appelle à valider les résultats à l’aide de nouvelles données, plus claires et mieux calibrées. Il souligne que le recours à l’intelligence artificielle dans l’astrophysique doit rester expérimental tant que des incertitudes majeures subsistent sur ses résultats.
Son inquiétude a été relayée dans un article détaillé, où il incite la communauté scientifique à interpréter ces résultats avec précaution et esprit critique.
Débat scientifique et perspectives futures
Ce débat souligne les tensions entre technologie émergente et rigueur empirique. Le traitement des signaux issus du réseau de radiotélescopes EHT reste une tâche complexe, soumise à l’interférence atmosphérique, à l’alignement géographique, et à d’autres aléas techniques.
Les scientifiques à l’origine de l’image par IA espèrent renforcer leur modèle en l’appliquant à de futurs relevés, notamment ceux prévus pour 2025 dans le cadre d’observations plus larges. Ils ambitionnent non seulement de mieux visualiser le contour de l’anneau de matière, mais aussi de comprendre comment l’énergie, la lumière et la masse interagissent dans ces environnements extrêmes.
Enjeux d’une image : science ou interprétation ?
Cette controverse illustre une question plus large : peut-on entièrement faire confiance à une image générée artificiellement comme reflet de la réalité cosmique ? Comme le miroir déformant d’un parc d’attractions, l’IA peut amplifier ou atténuer certains motifs dans les données, avec le risque de produire des illusions scientifiques cohérentes mais erronées.
Plusieurs chercheurs rappellent que des études postérieures à 2022 ont déjà remis en cause certains aspects de l’image initiale de Sagittarius A*. L’anneau autour du trou noir se révélerait moins circulaire et plus asymétrique qu’il ne le paraissait, ce qui ajoute à la complexité de sa modélisation.
Un tournant dans l’astronomie d’observation
Alors que les outils numériques transforment la recherche spatiale, l’image générée par IA du trou noir Sagittarius A* marque un jalon. Elle reflète autant l’évolution des capacités technologiques que les débats éthiques et méthodologiques qu’elles suscitent. Les prochaines années seront décisives pour déterminer si ces algorithmes peuvent devenir des instruments fiables pour l’astronomie moderne — ou s’ils doivent rester en marge comme outils de visualisation et d’expérimentation.
En attendant, l’image du centre galactique continue de fasciner, entre science, calculs et ombre cosmique, où la lumière elle-même ne peut s’échapper.
