Un tournant technologique majeur s’invite dans les plus hautes sphères de l’entreprise. En mai 2025, Klarna et Zoom ont marqué l’histoire de la finance d’entreprise en remplaçant — même partiellement — leurs PDG par des avatars IA générés par intelligence artificielle pour présenter leurs résultats trimestriels. Cette démarche expérimentale, bien plus qu’une prouesse technique, soulève des questions inédites sur l’authenticité du leadership, la confiance des investisseurs et le rôle futur des dirigeants dans un monde désormais virtuel.

Des avatars à la tête de la parole stratégique
Le 22 mai, Klarna a surpris le marché financier en diffusant une vidéo de 83 secondes où le PDG, Sebastian Siemiatkowski, était incarné par un clone numérique. Ce « jumeau IA », animé par un moteur vocal et visuel avancé, a résumé les performances financières du groupe avant de céder la place au véritable dirigeant pour la séance de questions-réponses. Malgré quelques imperceptibles failles techniques — clignements d’yeux mécaniques, mouvements labiaux légèrement désynchronisés — la ressemblance a suffi à tromper momentanément plus d’un analyste présent.
Le lendemain, Zoom a suivi la même trajectoire. Son PDG Eric Yuan, via l’outil propriétaire AI Companion, a introduit les résultats de l’entreprise à l’aide d’un avatar généré par IA, préenregistré mais annoncé comme tel. “Je suis fier d’être parmi les premiers CEO à utiliser un avatar lors d’une conférence téléphonique sur les résultats financiers”, déclarait-il par synthèse vocale, dans un métacomentaire qui résume bien l’ambition de cette initiative.
Entre prouesse technologique et prudence éthique
La réception de cette innovation a été globalement favorable. De nombreux analystes, habitués à la précision formelle des présentations trimestrielles, ont salué la qualité de restitution et le caractère innovant de l’approche. Dans certains cas, il a même fallu recourir à un second visionnage pour détecter l’usage d’un avatar numérique.
Mais cette nouveauté ne va pas sans controverse. Des experts mettent en garde contre la tentation d’automatiser une communication censée incarner la responsabilité humaine du leadership. L’usage de représentations numériques soulève des questions fondamentales : que se passe-t-il en cas de crise soudaine ? Quel niveau de responsabilité peut-on attendre d’une entité virtuelle ? Les garde-fous invoqués par Zoom, notamment des systèmes d’authentification et de déclaration claire de l’utilisation d’une IA, visent à éviter les dérives, mais n’évacuent pas totalement les risques de manipulation ou de désinformation.
Motivations profondes et stratégie des entreprises
Loin d’un simple gadget marketing, ces avatars s’inscrivent dans une vision plus large d’automatisation de l’entreprise. Chez Klarna, l’entrée en matière IA des résultats du T1 2025 coïncide avec une transformation radicale : réduction des effectifs humains de 40 %, hausse des revenus par employé à près d’un million de dollars et franchissement du seuil des 100 millions d’utilisateurs. L’entreprise suédoise veut incarner un modèle de performance augmentée par l’IA, où chaque niveau de l’organisation, jusqu’au sommet, est optimisable.
Pour Zoom, la stratégie est également alignée sur ses priorités R&D. En développant des outils internes exploitant la synthèse vocale, le deep learning et le traitement d’image en temps réel, la société affirme une position de leader sur le marché des communications virtualisées. À travers l’avatar de son PDG, Zoom démontre concrètement les capacités de sa plateforme pour transformer les environnements professionnels numériques.
Leadership virtuel : où fixer la frontière ?
Si l’apparition des avatars marque une rupture, leur usage soulève une interrogation plus large sur l’avenir du rôle même de dirigeant. Des recherches récentes suggèrent que les IA pourraient bientôt surpasser les humains dans certaines fonctions exécutives — analyse prédictive, prise de décision stratégique, optimisation des projections financières. Mais elles peinent encore à évaluer le contexte, à gérer une crise complexe ou à incarner une vision à long terme, autant de dimensions irrationnelles mais fondatrices du leadership.
Pour l’instant, l’avatar reste un assistant, un « porte-voix augmenté », mais pas encore un substitut décisionnel. Les réunions de résultats s’apparentent à un théâtre d’influence, où la présence humaine – même imparfaite – conserve une valeur symbolique inestimable. Pourtant, l’hybridation entre humains et IA, déjà à l’œuvre dans les processus décisionnels de nombreuses entreprises, pourrait accélérer l’acceptation d’un leadership partiellement automatisé.
Vers une généralisation ou un cas isolé ?
L’expérience de Klarna et Zoom reste encore marginale, mais s’inscrit dans une tendance croissante de virtualisation du travail et de la communication stratégique. Si elle séduit par son efficacité — rapidité, homogénéité du discours, scalabilité — elle inquiète par son apparente désincarnation. L’enjeu n’est pas tant de savoir si les avatars vont remplacer les PDG, mais dans quelle mesure ils peuvent coexister avec eux tout en maintenant la confiance des parties prenantes.
“C’est moi, ou plutôt, mon avatar IA”, lançait ironiquement le double numérique de Siemiatkowski. Derrière cette phrase, une dissonance : dans un monde où l’image devient plus précise que le réel, quelle voix portera vraiment la vision d’une entreprise ? Le débat ne fait que commencer.