Un groupe inédit de 45 entreprises européennes, issues de secteurs variés allant de l’aéronautique à l’énergie en passant par la tech, a réclamé une pause de deux ans dans l’application du règlement européen sur l’intelligence artificielle, connu sous le nom de AI Act. Dans une lettre ouverte adressée à la Commission européenne le 3 juillet 2025, ces acteurs industriels mettent en garde contre les risques d’un cadre légal jugé prématuré et inachevé, qui pourrait freiner l’innovation dans un secteur stratégique pour le futur de l’Europe.
Une réglementation pionnière mais contestée
L’AI Act, attendu pour entrer en vigueur le 1er août 2025, constitue la première tentative mondiale d’encadrement global de l’intelligence artificielle. Le texte vise à réguler le développement et l’utilisation des systèmes d’IA en Europe, en mettant l’accent sur la sécurité, la transparence et l’éthique. Il impose des obligations strictes à certains systèmes classés « à haut risque ». Cependant, certaines entreprises dénoncent déjà une réglementation trop complexe, floue et incomplète.
Selon les signataires, les obligations prévues manquent de clarté, notamment à cause de l’absence de standards techniques finalisés. Le code de conduite attendu en mai 2025 n’a toujours pas été publié, rendant difficile la préparation à la conformité. Cette situation alimente un sentiment d’incertitude juridique chez les acteurs concernés.
Des entreprises majeures unies sous la même bannière
La lettre ouverte, rendue publique le 3 juillet, est signée par de grandes entreprises européennes, parmi lesquelles Airbus, Siemens, TotalEnergies, BNP Paribas, Carrefour, Publicis, Dassault Systèmes, Owkin, Mistral AI ou encore Lufthansa. L’initiative, appelée EU Champions initiative, regroupe aussi des fédérations nationales de start-up, dont l’association allemande de la tech.
En demandant un « clock-stop », elles militent pour un gel des principales obligations de l’AI Act, le temps que les référentiels techniques, les guides de conformité et les procédures soient pleinement disponibles. L’objectif affiché est de ne pas entraver le développement de solutions innovantes dans un marché mondial très concurrentiel, dominé par les géants américains et chinois.
Un appel à préserver la compétitivité européenne
Pour les signataires, l’Europe doit éviter de se placer en position de désavantage stratégique. Ils estiment que si rien ne change, l’AI Act pourrait ralentir l’émergence de champions européens dans l’intelligence artificielle. Ils pointent également les risques de doublons normatifs et une complexité administrative accrue, qui pèsent sur les ressources des acteurs économiques.
Le collectif appelle donc à une réforme de l’architecture réglementaire actuelle. Il demande une simplification, plus de prévisibilité et une prise en compte réaliste des délais d’adaptation nécessaires pour les entreprises concernées. En clair, il ne s’agit pas de refuser la régulation, mais de l’adapter au rythme de l’innovation.
Réactions contrastées autour de la demande
Cette initiative pourrait inciter Bruxelles à revoir son calendrier. Si la Commission acceptait cette pause, elle disposerait de deux années supplémentaires pour affiner les règles, finaliser les standards et accompagner les entreprises dans leur mise en œuvre. Ce report serait aussi un message fort, indiquant que l’Union européenne entend mieux aligner régulation et compétitivité.
À l’inverse, certains observateurs s’inquiètent du risque d’un retard dans la protection des droits fondamentaux et dans la prévention des abus liés à l’utilisation de l’IA. Pour eux, une trop longue suspension pourrait fragiliser l’un des principes de base du projet : faire de l’IA un outil éthique et transparent dès sa conception.
Outre-Atlantique, le débat fait écho à certaines critiques similaires venues de grandes entreprises technologiques, comme Meta ou Google. Toutefois, la démarche européenne reste spécifique à son modèle économique et réglementaire, attaché aux droits individuels et à un marché unique harmonisé.
Le compte à rebours avant l’entrée en vigueur
À moins d’un report, l’AI Act doit s’appliquer dès le 1er août 2025. Peu avant, le code de conduite initial devait être publié en mai, mais ce jalon n’a pas été respecté. La crispation actuelle traduit une inquiétude croissante au sein de l’industrie tech européenne face à une réglementation perçue comme prématurée.
La lettre ouverte du 3 juillet marque une étape décisive dans les discussions entre institutions européennes et parties prenantes économiques. Le débat public, engagé dès le lendemain, interroge sur la capacité de l’Europe à maintenir son ambition de leader mondial de l’innovation responsable.
Une régulation à la croisée des chemins
La demande de pause du collectif européen révèle les tensions inhérentes au double objectif fixé par l’Union : protéger les citoyens tout en stimulant l’innovation. Le défi sera d’articuler régulation et croissance technologique sans créer de handicaps structurels.
Dans les mois à venir, la Commission européenne devra trancher. Une décision qui influencera non seulement le développement des technologies d’IA en Europe, mais aussi son offre industrielle et son attractivité internationale. Alors que la course mondiale à l’IA s’intensifie, l’Europe se retrouve face à une question clé : comment encadrer sans étouffer l’innovation ?